Amnusique

Des sons qui restent en tête

jeudi

23

avril 2015

0

Commentaire(s)

Le Cabaret Vert 2015 – L’affiche de la discorde

Share on Pinterest

Le Cabaret Vert 2015 L'affiche de la discorde
S’il existe un festival en France qu’Amnusique conseillerait à tout amateur de bonne musique, de bonne bouffe/boisson et de déconne, c’est bien le Cabaret Vert. Depuis une dizaine d’années, ce petit festival de musique et d’art, faisant maintenant partie des dix plus importants de l’hexagone (plus de 90 000 festivaliers l’année dernière), prend ses racines en plein cœur de la ville de Charleville-Mézières, dans un cadre aussi atypique qu’accueillant. Au retour des beaux jours, les organisateurs dévoilent tour à tour les dates de l’événement, la programmation artistique, les nouveautés et bien évidemment le visuel, qui sera placardé aux quatre coins du pays. Et c’est justement ce point qui fait de plus en plus débat depuis les trois dernières éditions. Amnusique analyse pour vous l’évolution graphique et sémantique des affiches du Cabaret Vert depuis sa création.

De 2005 à 2008, les organisateurs optent pour une communication qui met en exergue les symboles locaux que sont le sanglier, les forêts Ardennaises ou encore la Place Ducale, sœurette de la Place des Vosges située à Paris. La couleur verte est prédominante dans ces quatre affiches, évidemment, en référence à la couleur qu’évoque le titre du poème de Rimbaud « Au Cabaret Vert », mais également comme un clin d’œil au massif forestier Ardennais, que Jules César considérait comme le plus important de toute la Gaule.

De 2009 à 2012, on note une petite évolution dans le traité graphique et symbolique des affiches. Le côté très plat des affiches précédentes a laissé place à des visuels globalement plus fins, plus détaillés et utilisant parfois le montage photographique. Concernant la couleur prédominante, le vert habituel semble être bien plus présent et plus flashy qu’auparavant. Si le sanglier tient encore une belle place dans l’affiche de l’édition 2009, il est ensuite utilisé de manière plus discrète, en détournant des symboles et références célèbres bien connus du grand public.

Le mammifère est ainsi mis en scène dans une version re-visitée de la Statue de la Liberté, plus écolo, ou en Superman version Arthur Rimbaud. Il est également associé à des références plus musicales comme la langue de Mick Jagger des Rolling Stones et les corps des Beatles sur l’Abbey Road.

2013 marque un réel changement de direction artistique pour le Cabaret Vert. C’est d’ailleurs cette année là que l’atelier de création « Appelle moi Papa » crée la première mini-polémique sur l’affiche qu’il propose, en mettant en scène un sanglier mort, posé sur un plateau, et transpercé par un bras humain tatoué. Les couleurs de l’affiche sont quant à elles bien pâlottes et le vert, si cher aux Ardennais, s’estompe peu à peu.

L’année suivante, le sanglier retrouve un peu de sa superbe mais ce sont les couleurs choisies qui font de nouveau débat. Les festivaliers s’étonnent et se questionnent principalement sur le choix du bleu et du jaune pour fêter les 10 ans de leur festival adoré. Le Cabaret Vert se transformerait-il en Cabaret Bleu ?

Analysons maintenant cette fameuse affiche de l’édition 2015. Sur la forme, avouons-le, Schlep a vraiment fait des merveilles. La qualité de la sculpture, réalisée entièrement en pâte à modeler, est bluffante. Le soucis du détail est impressionnant et la finition quasi parfaite. Et lorsque l’on visionne le making-off posté sur leur compte Facebook, on prend réellement conscience de la quantité de travail qui a été mise en œuvre pour réaliser l’affiche. Tout est fait à la main, des petites feuilles jusqu’à l’éclairage des yeux du sanglier. L’idée de ne pas utiliser uniquement l’outil numérique et les logiciels est vraiment chouette.

Après la forme, passons à l’étude du fond. Certains y verront une forme de sexisme, de la barbarie ou d’autres un affront au véganisme. À mon sens il n’y a vraiment pas de sens caché là dedans. Pas de volonté de nuire à quiconque, juste de la maladresse dans le choix des symboles. Et malheureusement, ce qui est symbolique touche souvent bien plus la sensibilité des gens, dans le bon sens comme dans le mauvais.

Jusque-là, le sanglier (qui est, rappelons-le, une bête réputée pour tout dévaster sur son passage) a toujours été personnifié et humanisé sur les affiches, de manière à ce qu’il devienne plus attachant , plus sympathique, et donc plus proche de nous. Il est difficile de rendre sexy quelque chose ou quelqu’un qui, dans la tête de la majorité, représente tout l’inverse.

Sur l’affiche 2015, l’animal est blessé, chevauché et dégusté par une sorte de Pamela Anderson Ardennaise plus pulpeuse que jamais. Si la taille de la poitrine de la femme fait jaser les féministes en herbe, c’est davantage la représentation du sanglier qui nous interpelle. Alors, certes, il ne faut pas se leurrer, pour manger du sanglier au Cabaret Vert, il faut bien le tuer. C’est vrai. Cependant, et à preuve du contraire, McDonald’s ne met pas en scène les batteries d’élevage de ses poulets pour promouvoir ses nuggets. Et heureusement.

Il faut quand même se rappeler du but premier d’une affiche : promouvoir, susciter l’intérêt, pour finalement faire naître le désir. En réalité, il n’y a que les paquets de cigarettes qui arborent des visuels censés susciter le dégoût. Mais il ne s’agit pas d’une démarche volontaire de la part des marques.

La vraie question qui se pose alors est : cette affiche donne-t-elle réellement envie de venir passer quatre jours dans les Ardennes cet été ?

Vous, nous, nous le savons ! Cette affiche ne reflète en rien l’esprit qui règne dans ce festival. Elle ne reflète en rien l’esprit convivial, bon enfant et rayonnant du Cabaret Vert. On ne prêche pas un converti, nous irons tout de même au Square Bayard en août prochain. Mais pensons quelques secondes à ceux qui ne le connaissent pas et qui auraient pu se laisser tenter par l’aventure ? Ceux qui jugent logiquement un livre à sa couverture et à son résumé, un film à son affiche et à son synopsis. Vont-il se laisser séduire grâce à ce visuel censé être attractif ? J’en doute.

Est-ce que l’image des Ardennes que l’on veut transmettre aux quatre coins de l’hexagone est celle d’un sanglier dépecé (et qui semble content de l’être) et chevauché par une demoiselle aux lèvres de poisson-chat ? Pourquoi s’étonner de la mauvaise image dégagée par la région quand on y participe.  Si le thème de cette année semble être le rodéo, c’est bel et bien sur les symboles et les valeurs des Ardennes que cette affiche s’assoit.

Relativisons tout de même. Cette maladresse n’est pas un drame ni une affaire d’état. Si elle ne séduit pas la majorité, elle aura au moins le mérite de la faire réagir.

Publié par : , Catégorie(s) : Non classé

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *